Entrer dans une exposition de Philippe Ramette, c’est entrer dans un univers qui questionne la réalité dans ce qu’elle admet de plus tangible et de plus physique. Il crée des objets ou des situations improbables, des œuvres où il s’agit d’« imaginer ce qu’on pourrait voir » et met en scène ses sculptures dans des photographies.
Pourtant, il n’est en aucun cas question d’illustrer l’absurde, mais plutôt de construire de manière rationnelle une image irrationnelle.
Philippe Ramette invente des objets qu’il appelle des «prothèses» lui permettant de flotter dans les airs, grimper aux arbres, marcher sous l’eau… Il se met lui-même en scène dans son costume noir, pour composer l’image d’un paysage dont il fera partie de façon extravagante, visuellement étonnante et renversante (au sens littéral). La perception de cette force de gravité, qui n’obéit plus aux normes terrestres, ressentie dans ses mises en scène, désarçonne le regardeur et l’oblige à inventer une nouvelle façon de regarder le monde, un nouvel état contemplatif. Ces photographies ne subissent aucune retouche ou montage, car l’artiste cherche avant tout à garder le contact avec son travail de sculpteur.
Le projet spécifique de Philippe Ramette au Centre Régional d’Art Contemporain à Sète associe un ensemble de photographies, prises spécialement pour l’exposition dans le port de Sète, à un choix d’œuvres existantes de la série …Promenades irrationnelles… Ces photographies s’ouvrent toutes sur l’univers maritime, comme une exploration du paysage marin et sous-marin d’un point de vue très singulier qui plonge le spectateur dans un délicieux trouble de la perception…
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Ce dernier tournera la tête dans un sens, puis dans l’autre avant de témoigner de la puissance poétique de ces images, capable de mettre à bas les théories de Copernic ou de Galilée. Perte de repères, anéantissement des lois de la pesanteur, prises de vue contre-nature ou contre-raison, autant de conséquences à ce qui n’est au départ qu’un objet, une « prothèse attitude » comme l’artiste aime à le rappeler. Philippe Ramette joue de l’impassibilité méditative de son corps, immergé dans ces horizons irrationnels, entre la silhouette burlesque keatonienne et l’image du héros romantique, définitivement seul et aspirant à l’infini.
Contre toute attente, ou du moins contre l’attente du consommateur d’images faussées et truquées que l’homme moderne est, Philippe Ramette nous propose des images réelles, des mises en scène factuelles capturées par l’appareil photographique. C’est en réalité un prétexte pour illustrer et donner vie à ses inventions, ses prothèses extravagantes, harnachées à son propre corps et dissimulées des yeux du spectateur par son costume. On imagine le mécanisme barbare et ingénieux qui maintient à l’horizontale le corps pesant de l’artiste, feignant une absence d’effort et une posture contemplative. Ces images sont donc réelles mais ne sont pas réalistes, et c’est de ce chiasme absolu que provient toute la puissance philosophique, drôle et poétique de son art. Il explique : «L’idée forte consiste à représenter un personnage qui porte un regard décalé sur le monde, sur la vie quotidienne. Dans mes photos, je ne vois pas d’attirance pour le vide, mais la possibilité d’acquérir un nouveau point de vue». L’homme ce «pauvre cyclope paralytique» comme le décrit Gérard Wajcman, est condamné à voir le monde d’un point de vue unique. L’œuvre de Philippe Ramette révèle alors la lutte qu’il engage pour échapper à cette condition humaine, une lutte physique, celle de son corps en train d’éprouver l’expérimentation de sa prothèse et celle du spectateur à qui il offre une multitude de points de vue, qui se complètent ou s’annulent, s’opposent ou se composent dans une image qui joue de la logique et de la raison pour notre plus grand plaisir.»