L’exposition au Crac Occitanie est l’occasion d’une plongée totale dans l’univers plastique et filmique de Pauline Curnier Jardin. C’est la première exposition de cette ampleur dédiée à l’artiste en France.
Plusieurs installations sont construites sur mesure pour les espaces du Crac et permettent de découvrir des films, des dessins et des images au sein d’une arène romaine reconstituée, à l’intérieur d’un placenta géant, dans un diorama archéologique, ou encore en passant à travers les jambes d’une géante…
Le parcours de l’exposition commence avec une installation monumentale intitulée Fat to Ashes, présentée pour la première fois en 2021 au Hamburger Bahnhof (Berlin) à la suite de l’obtention du Preis der Nationalgalerie.
Le Crac présente la seconde occurrence de cette installation. Une reconstitution d’arène romaine sert à la fois de décor sculptural et de dispositif cinématographique dans lequel le film du même nom Fat to Ashes est présenté. Littéralement « du gras aux cendres » ce titre renvoie au mardi gras et au mercredi des cendres, soit le passage vers le début du jeûne et de l’abstinence dans le calendrier chrétien. Par opposition aux cendres, le mardi gras est un jour de dépense et de défoulement collectif marqué par le carnaval.
Le film de Pauline Curnier Jardin est un montage de séquences tournées en Super 8, qui entrelace plusieurs récits : des processions liées au martyr de Sainte Agathe à Catane en Italie, un carnaval à Cologne en Allemagne et la tuaille du cochon, rituel rural collectif qui se perpétue depuis l’Antiquité et qui consiste à abattre et à préparer le cochon pour le manger au moment le plus froid de l’année. L’imbrication de ces différentes trames produit un effet de transe visuelle et sonore dans laquelle la dépense, l’excès, l’extase physique ou spirituelle sont intimement mêlés.
L’arène qui sert de scène à ces images renvoie tout autant au lieu du divertissement populaire, qu’à un espace sacrificiel, exutoire collectif des tabous et des refoulés. La reconstitution d’une architecture emblématique de Rome (où vit l’artiste) et de différentes villes de l’Empire telles que Arles ou Nîmes (où a grandi l’artiste) s’inspire de certaines traditions culinaires italiennes qui reprennent la forme de l’arène pour réaliser des folies pâtissières.
Ainsi Pauline Curnier Jardin bâtit-elle à son tour une folie architecturale dégoulinante, à la fois lieu de gloutonnerie, mais aussi scène de théâtre antique et théâtre anatomique tel qu’il apparaît dans le sud de l’Europe au 16e siècle, en tant que lieu d’étude et de dissection du corps humain.
La suite du parcours de l’exposition présente un autre projet récent de Pauline Curnier Jardin, initié lors de sa résidence à la Villa Médicis en 2019 et 2020. Dans le cadre du confinement de 2020 et d’une expérience de contrainte absolue des corps, elle initie une collaboration au long cours avec un collectif de travailleuses du sexe colombiennes, rencontrées à Rome, avec lesquelles elle a créé depuis le collectif Feel Good Cooperative. Pauline Curnier Jardin met en place une série d’ateliers avec ces femmes, et leur commande pour le prix d’une passe des dessins, dans lesquels elles représentent des scènes de travail. Les recettes de la vente des œuvres sont partagées entre toutes les membres de la coopérative, en vue de produire une aide sociale durant la pandémie. Les dessins ont fait l’objet de plusieurs expositions depuis 2020 et sont présentés au Crac Occitanie dans un nouveau dispositif produit pour l’occasion.
Pauline Curnier Jardin réalise avec la coopérative un film intitulé Le lucciole (Les lucioles). Celui-ci met en scène ce même groupe de femmes dans la nuit, dans un scintillement d’ombres et de lumières, aux abords des routes, dans les champs à la lisière de Rome où elles travaillent habituellement. Les lucioles ce sont ces femmes qui apparaissent la nuit, rendues invisibles le jour, précarisées à l’extrême pendant la pandémie et en marge de toute reconnaissance sociale.
Dans un article de 1975, le cinéaste et écrivain Pier Paolo Pasolini se désolait de la « disparition des lucioles », dans un désastre écologique qu’il mettait en regard du capitalisme tout puissant, transformant tout sur son passage en objet de consommation. En revisitant à son tour la symbolique des lucioles, Pauline Curnier Jardin réinjecte un potentiel de vie, de jouissance collective et de magie, au cœur même du désastre économique, politique et écologique.
L’exposition est enfin l’occasion de présenter la réactivation d’une installation créée pour la biennale de Venise en 2017, intitulée Grotta Profunda Approfundita. Un environnement organique en forme de placenta fait office de chambre de visionnage pour le film du même nom, tourné en 2011, suite à une résidence de l’artiste à la Caza d’Oro au Mas d’Azil.
Grotta Profunda est une relecture burlesque de l’histoire de Bernadette Soubirou qui vit apparaitre la vierge à plusieurs reprises dans une grotte des Hautes Pyrénées et qui a fait de Lourdes le lieu de culte et de pèlerinage mondial que l’on connait aujourd’hui. Pauline Curnier Jardin construit à son tour une série de visions étranges et extravagantes dans lesquelles se succèdent une sirène-singe, une femme-araignée, une main sur pattes… autant de chimères qui semblent produites par l’imaginaire débridée de Bernadette, transformée entre temps en œil géant…
Dans ce film comme dans les autres installations montrées au Crac Occitanie, Pauline Curnier Jardin reconnecte sacré et profane, corps et esprit, individuel et collectif, masculin et féminin… autant de territoires qu’elle recompose par des formes hybrides, transgressives, dans lesquels les centres ne cessent d’être réinvestis par leurs propres marges.
L’ensemble de l’exposition a été conçu en étroite collaboration avec la scénographe, créatrice de costume et danseuse Rachel Garcia, complice de longue date de Pauline Curnier Jardin pour la création des costumes, des scénographies de films, performances et installations.