Nos troubles

Exposition

Du 15 novembre 2002 au 12 janvier 2003

Commissariat : Lise Guéhénneux et Noëlle Tissier

Le titre questionne le vocabulaire et les différentes formes de prises de paroles. Il joue sur les registres de l’écrit, de l’oral et des rapports qu’ils entretiennent.

Le titre questionne le vocabulaire et les différentes formes de prises de paroles. Il joue sur les registres de l’écrit, de l’oral et des rapports qu’ils entretiennent. Ce jeu de malentendus rejoint la proposition de l’artiste Adel Abdessemed et le titre de l’œuvre qu’il propose pour l’exposition : mal vu. L’utilisation du vocabulaire prend sens à partir d’un contexte précis.
Que voit-on ?
Deux photographies.
Celle d’une femme, plus précisément celle d’une religieuse appartenant à la communauté franciscaine, qui mendie dans le métro new-yorkais. Les usagers passent sur des escaliers roulants autour de cette figure solitaire, et derrière une immense horloge : "time is money".
Puis, un cadrage ou un recadrage, fait apparaître un détail comme un élément central. La vue se focalise alors sur le geste, la main tendue, l’argent dans cette main et une médaille religieuse. Ces deux photographies présentées dans un encadrement doré prennent alors un statut d’icône. Une icône qui prend place dans l’histoire des vanités. Le traitement de l’éclairage de la salle d’exposition compose avec les photographies un espace de méditation qui peut faire basculer la lecture vers une sorte de filiation caravagesque et son héritage scandaleux. Le code de ces images s’inscrit dans l’histoire de l’art occidentale, issue d’une culture dont le socle s’origine dans l’iconographie commandité e par le pouvoir religieux. La vanité s’apparente également à la lignée d’une poétique épicurienne et humaniste qui pose comme fin, la destinée de chacun . Quelle analyse peut-on faire de cette proposition aujourd’hui ? Quelle place fait-on à la religion à un moment où la croisade religieuse est à nouveau revendiquée ?
Cette religieuse est-elle la réaffirmation d’une communauté religieuse , bloc solidaire allant jusqu’à la passion fanatique, face à l’hérésie des cultures mécréantes. "mal vu" d’Adel Abdessemed témoigne des paradoxes de cette situation, et renvoie à ce qui est revendiqué ainsi qu’à ce qui est présenté.
Cette œuvre née de l’après 11 septembre est exemplaire de la situation artistique dans laquelle souhaite se positionner l’exposition " nos troubles " et quels en sont ses enjeux . Les artistes invités affirment une prise de position avec des repères très lisibles où le non-sens parfois convoqué ne fait que renvoyer un miroir à la paranoïa ambiante , la peur et le repli identitaire.
Revendiquer une position d’artiste en tant qu’être à part entière , c’est accepter les débordements et refuser l’instrumentalisation de l’œuvre, tel un produit qui se rajouterait aux productions d’un système de libre échange où la forme s’autocensure pour ne pas déranger le cadre du marché. Ainsi Chourouk Hriech utilise le dessin pour échapper au médium vidéo, trop lisse, de son point de vue, aplatissant ses propos qui ne le sont pas. Malachi Farrell revendique la production de pièces encombrantes parce que difficile à assumer par l’institution . Il pousse les possibilités jusqu’à leurs limites , bricolant les nouvelles technologies avec la virtuosité d’un activiste autonome. Au-delà de l’immédiateté , sa pratique procède d’une économie cherchant une alternative au système libéral . Pour ne citer que quelques œuvres et démarches présentées à l’exposition " Nos troubles ". Les douze artistes invités ne répondent pas à un mot d’ordre ou à une commande qui rentrerai dans le cadre d’un texte programmatique . Le temps de l’exposition laisse ouverte la porte à l’urgence des situations de chacun et fait confiance aux œuvres que les artistes ont besoin de produire ou de montrer à Sète. Le centre d’art de Sète leurs permet d’expérimenter véritablement grâce au respect et l’attention remarquable que son équipe porte à la création vivante.
Lise Guéhenneux

À propos des œuvres exposées

Adel Abdessemed
Mal vu, deux images qui revendiquent une autonomie vis-à-vis des pouvoirs, celui d’Hollywood et de l’industrie cinématographique, ainsi que celui des médias. Cette autonomie revendiquée concerne également celle de l’artiste. Constatant que l’économie de l’art tend à pousser l’artiste à produire seulement sur commande, celle d’une exposition à venir par exemple, Adel Abdessemed veut pouvoir maîtriser le temps de la réflexion et de la création sans répondre au désir des commissaires d’exposition. Refuser un projet, n’est pas de l’ordre du "caprice", comme on le dirait d’un enfant assujetti à une éducation stricte, ni de celui d’une réaction de star. Être artiste c’est construire différemment, et pour s’en donner les moyens, il refuse d’entrer dans une compétition, une course folle où les idées deviennent des produits, afin de penser davantage en termes d’engagement, un engagement tenant plutôt du partage, de la rencontre et d’une communauté où la démocratie n’est pas un luxe mais un minimum vital.
Pour l’exposition, Nos Troubles , Adel Abdessemed offre deux images rapportées de son dernier séjour à New-York. Il questionne. Quels sont les moyens de résistance du pauvre dans une société où, photographies à l’appui, les images produites par le pouvoir contredisent ce qu’il présente ici ? Comme dans ses œuvres précédentes, l’artiste appuie là où cela fait mal. Il interroge les éléments les plus familiers, constituants et structurants l’identité de chacun, pour ne citer que quelques exemples, la religion (cf. "Mal vu"), les hymnes nationaux, un questionnaire s’inspirant de celui distribué à l’arrivée aux U.S.A, une étoile de Haschich derrière un hygiaphone, la danse sensuelle d’une feuille de menthe et d’une feuille de Marijuana filmée en vidéo afin d’être installé dans une église, un citron écrasé d’un coup de talon, deux vues du paysage vu du toit de la maison maternelle en Algérie. Des paradoxes incroyablement simples qui touchent au sens fondamental de l’existence.

Saâdane Afif
Un monochrome bleu, telle est la réponse de Saâdane Afif pour l’exposition Nos troubles. L’artiste a détourné un panneau d’autoroute afin de l’installer selon les normes muséales internationales. Le panneau évoque aussi bien le road movies*, le parcours que la projection de fantasmes ou de destins croisés. Saâdane se rappelle d’une autre pièce. Il a déjà utilisé la forme du panneau routier bleu en inscrivant à la place des directions, une liste issue de ses rencontres, de la mémoire d’un parcours déjà effectué, où les noms sont autant de repères et de balises. À Sète, le panneau est vierge et plonge le spectateur dans la contemplation qui peut -être rattachée à celle de la picturalité des colorsfields (voir peinture américaine). La peinture comme expérience perceptive, l’utopie rejointe par l’Histoire, celle de la peinture d’histoire américaine et de l’espace de la modernité à l’échelle du musée. Saâdane Afif transforme-t-il le centre d’art en musée ou transporte-t-il une certaine réalité du paysage dans le centre d’art ? Le centre d’art reste présent avec ses grandes salles, le bitume qui recouvre le sol et garde la mémoire industrielle de son architecture d’entrepôt de docks portuaires. Ici, le monochrome est posé au sol. Le titre, " pause ", donne une direction, celle d’une pause, possible à Sète. La pause induit une notion de temps, celui de l’artiste, un temps de réflexion. De quelle Histoire héritons-nous ? Et " que faire " avec ? Le monochrome est évidemment situable dans le domaine historique de la modernité artistique mais l’objet tableau est ici, un panneau d’autoroute sans direction. Le bleu du monochrome est celui du scotch adhésif traité pour réfléchir et diffracter la lumière des phares automobiles. Lancé à 130 km/h, le conducteur doit pouvoir se repérer sans être ébloui. Cette matière bleue paraît très proche d’une matière organique, une peau tendue sur des lattes métalliques dont l’irisation change avec le déplacement dans l ‘espace lumineux pour simplement retenir le regard. Un moment d’attention flottante, tel celui du pêcheur regardant la grande bleue, attentif aux mouvements du flux.
* Road movies : fiction cinématographique donc le récit se passe essentiellement sur la route.

Lilian Bourgeat et Philippe Vuillemin
Toujours en éternel chantier, l’artiste Lilian Bourgeat s’est fixé une mission tapis roulant pour l’exposition de Sète. Dans ses carnets de projets et sur son site Internet, Lilian Bourgeat, décline plusieurs prototypes de tapis roulants, tapis afghans roulants, tapis type rubrix cube avec impression de nuages. L’élément tapis roulant devient un outil de vocabulaire jouissif que L’artiste utilise pour questionner le sens de l’exposition. Une attitude proche de celle de l’artiste russe Ilya Kabakov, lorsqu’il monte des dispositifs où le décor renforce l’absurdité de l’apparat.Ici, Lilian Bourgeat construit un dispositif à plusieurs entrées où le parcours du spectateur est dirigé par une machine. Le passager voyage, immobile, tout en étant sollicité du regard. Ainsi, se laissant porter par le doux ronron de la machine, l’usager peut découvrir les commentaires amusés de Vuillemin. Du premier étage s’offre un autre point de vue, davantage cartographique, avec un jeu de cimaises digne des aller- venue ménagés entre cour et jardin, pour la circulation des acteurs. Du "balcon", le visiteur voit alors se gonfler l’étoile composée de manches à air aux couleurs des drapeaux des pays membres du G7 avec G7, 1996, œuvre de la collection du F.R.A.C. Pays-de-La-Loire. "Dans la majorité des cas, il s’agit avant tout pour l’artiste d’impliquer le spectateur dans la réalisation effective d’un geste minimum ou absurde" (Emmanuel Latreille, in catalogue Lilian Bourgeat, 2002). Lilian Bourgeat et Philippe Vuillemin se rencontrent sur le terrain, avec l’élégance et le feeling d’horloger qui sied à leur humour rebelle.

Malachi Farrell
Malachi Farrell compose avec l’humour en le chargeant, utilisant la satire et la caricature, dans la droite lignée d’un Daumier ou d’un Molière allant jusqu’au non-sens de son compatriote Beckett. Les dispositifs qu’il compose débordent, ou plutôt "dérapent" vers un genre et un esprit proche du théâtre (de rue), forme que la critique d’art n’accepte que si elle est circonscrite et légitimée par l’histoire de l’art, donc, essentiellement, dans le contexte des avant-gardes occidentales, celui de la naissance de Dada au Cabaret Voltaire de Zurich (1916), celui des années soixante du Living Théâtre, ou encore, celui qui préside à la rébellion d’un Tadeusz Kantor, pour ne citer que quelques exemples. Mélanges des genres ? Par peur d’une confusion entre art et culture dans une société qui tend à assimiler tout au produit, vendu dans un bel emballage destiné à glorifier les images du marché libéral, la position artistique se radicalise. Mais la radicalité ne passe pas forcément par une attitude de repli. La pratique de Malachi Farrell pousse l’immersion jusqu’à ses débordements sonores et rythmiques. Il œuvre à des chorégraphies électro-mécaniques, celles conditionnant notre environnement, en prenant en compte un vocabulaire issu de la culture punk et industrielle, soupe dans laquelle l’artiste est tombé lorsqu’il était petit. De même, les situations qu’il met en place, ouvre le point de vue sur une culture qu’il a pu se constituer en partageant une mixité d’origines, permise par la "laïque" française. L’image de la catastrophe.L’installation Fish Flag mourants, produite en 1998 à l’occasion d’une exposition à la Kunsthalle de Brême et réécrite à cinq reprises, se voit aujourd’hui augmentée d’une production créée en 2002 pour le centre d’art du Fresnoy que l’artiste recompose à Sète. Marquer son invention dans un centre d’art situé sur un terrain appartenant aux Affaires Maritimes dans le "premier port de pêche français méditerranéen", lui a paru évident. Ici les éléments marins se côtoient, les poissons mourants comme autant de drapeaux, dans un milieu asphyxié par les déchets, auquel préside la réplique du premier sous-marin nucléaire français, représenté ici par la partie émergente de sa coque. Et puisque l’évidence ne suffit jamais, la grande salle du centre d’art est ainsi transformée en vaste site archéologique, un chantier composé des déchets de la consommation. "Une vision issue de la politique actuelle", nous dit Malachi Farrell, qui donne lieu à une foule de petites scènes à la Jérôme Bosch"*.
* Jérôme Bosch, peintre flamand de renommée européenne (XV e siècle), connu pour son goût des compositions foisonnantes, son abondant répertoire de "diableries" et de drôleries, animaux fabuleux, proches des figures marginales des enluminures des XIV et XVe siècles.

Fabien Friedrich et Michèle Lechevalier, Fleurs .
Avec ces photos de fleurs du bord de la route, la démarche de Michèle Lechevalier et Fabien Friederich vise à rendre visible ce qui est visible. On pourrait dire également qu’il s’agit de faire voir ce que chacun tente d’ignorer. Souvenirs d’une mort violente, ces mémoriaux ou cénotaphes bricolés, placés là où la vie s’est éteinte mais non là où le corps repose, révèlent un rituel funéraire à la fois séculaire et typiquement contemporain. Or ce geste est chargé de multiples sens et porteur d’autant d’interrogations. Présenté sous la forme d’un columbarium, ces photos rappellent l’architecture des cimetières modernes. Mais tandis que ceux-ci n’échappent pas à la loi de la stratification sociale (caveaux, tombe, fosse commune), ici pas de distinction. A l’inverse, la sépulture ne dit pas la mort, tandis qu’ici la fleur annonce le lieu et la cause du décès, exposant du même coup à tous un événement qui tient de la sphère la plus intime. Il est aussi question ici du vide et de l’absence. Depuis longtemps, dans notre société, lieu de décès et lieu de repos ne coïncident plus. Comment dès lors faire son deuil en dédoublant le lieu de recueillement ? Michèle Lechevalier et Fabien Friederich ont fait le pari de la lenteur afin d’aller à la rencontre de ces autels dressés sur la route mais auprès desquels personne ne s’arrête. Avec ce travail, ils rappellent aussi que notre époque cache la mort ou la spectacularise pour mieux la vendre.
Le travail de Michèle Lechevalier est généralement in situ et éphémère. Il s’articule autour d’un questionnement sur l’urbanisme et sa signalétique.Fabien Friederich est peintre. Il s’intéresse aux drapeaux nationaux et tente de réinventer encore le monochrome.

Chourouk Hriech
Chourouk Hriech dit "réagir "à des lectures erronées d’un mixage culturel dans l’art. " Ainsi, abandonne-t-elle la vidéo pour le dessin ,"le dessin à même les murs et son extension dans l’espace au moyen d’une mise en volume qui crédite et complète ce même dessin." Pour l’exposition Nos troubles, Chourouk Hriech réalise un dessin sur bâche, tendu à distance du mur, ménageant, dans le même temps, une situation d’espace et de circulation. Pigs of love, titre suffit à nous mettre sur la piste, après, reste à l’expérimentation dans l’espace. Le dessin garde la trace de son support initial, le carnet. Ici la transparence du drapeau joue sur une emblématique ouverte, celle de l’écran de projection avec une double projection sur chaque face du même tissu qui rend lisible l’écriture à l’envers et inversement, suivant le point de vue. Une lecture des sens, ceux de l’écriture et de ce que l’on y entend. Le dessin comme l’écriture interrogent leurs rapports et ce que leur échelle dans l’espace a de proclamatoire et de jubilatoire. L’écriture, par son échelle s’ouvre à l’espace et se charge d’une générosité que vient apporter le souffle d’un léger courant d’air frais. L’économie que génère le dessin dans la pratique de Chourouk Hriech, Valérie du Chéné et Cécile Noguès, n’est pas sans poser des questions nouvelles vis-à-vis de cette appropriation du dessin, tel un médium plus direct que celui de la vidéo qui, paradoxalement, dans les années soixante, paraissait être le médium le plus direct pour les artistes. Le dessin de ces trois jeunes artistes peut-être également lu dans cette perspective.

Cécile Noguès
Un leitmotiv revient dans l’œuvre de Cécile Noguès, celui de l’écriture d’une histoire qui passe par l’analyse. L’analyse de l’image se relie à d’autres débuts, celui de l’écriture cinématographique, par exemple, ou celle qui nous inonde, l’image télévisuelle. Cécile Noguès se saisit de la feuille A4, de l’aquarelle, du standard de l’animation informatique. Le dessin s’inscrit ici dans une recherche de registres d’écritures. Une mise à distance du dessin par l’usage du filtre informatique rencontrant une écriture organique, un sens de l’espace issu du plan de la feuille de dessin, de celle que l’on utilise également pour l’imprimante, la photocopieuse et la machine à écrire. Différents espaces à Sète : le mur, l’écran et le passage de l’un à l’autre. Un geste, celui de Lucio Fontana dans les années cinquante. Le peintre fend la toile. Cécile Noguès reprend ce geste dans une animation où l’on voit goutter des gouttes (de sang) depuis la fente. Ce dessin revient à plusieurs reprises dans la boucle d’animation informatique. Cette image rappelle une exposition lors de laquelle, l’artiste avait recouvert tous les éléments domestiques d’un appartement d’un mélange pictural (feutre et pâte de colle à papier peint). Le côté "trash" de l’installation picturale a disparu, mais ce rapport du corps avec la peinture subsiste avec cette humeur qui s’échappe de la fente. On peut y projeter plusieurs significations pour peu que l’on se balade dans la lecture des dessins et les aquarelles accrochés aux murs.

Nathalie Rao
Qu’elle utilise la vidéo ou la photographie, Nathalie Rao interroge le rapport à l’œuvre et au monde, de manière toujours expérimentale, proche de la performance. Son analyse de l’image passe davantage par le ressentir que le choc frontal. Aujourd’hui, sa pratique s’attache à la matière même de l’équation interrogative, son vocabulaire, son contexte.La pièce, intitulée "projection", réalisée pour Sète, est une mappemonde au sol, constituée de sang artificiel, celui que l’on emploie au cinéma. La mappemonde constitue déjà en soi une déformation du monde, issue de différentes projections cartographiques, une peinture d’histoire équivalente à l’écriture des scribes : compte des flux des marchandises et du paysage en réseau construit pour rendre exploitable l’expansion coloniale et commerciale de l’Empire. Autre lecture de "projection", un point de vue en hauteur d’où la mappemonde devient miroir. Le spectateur peut alors voir son reflet dans le glaçage rouge sang virant au noir sous les projecteurs du dispositif d’exposition. Immersion : le temps de l’exposition, le processus va se mettre en œuvre, l’image va bouger. Une affiche composée d’une liste de mots, rouge sur fond blanc dresse le tableau d’une situation entre fiction d’horreur, celle du film "l’exorciste 3" qui donne le titre, "exorciste 4" à cette nomenclature de la violence latente, quotidienne et ordinaire qui constitue chacun. Un retour du refoulé ? "La violence qui nous constitue questionne la personne et sa responsabilité, ses ambiguïtés, et ses paradoxes, son identité, la violence et la peur, deux domaines, qui, à force d’être évités par "le politiquement correct" , ne font qu’engendrer des monstruosités. Que choisit-on lorsque l’on regarde une œuvre d’art ? "Pour moi, dit Nathalie Rao, utiliser la carte du monde est un geste important en soi."

"Des mots sont inscrits sur des bandes de papier. Des phrases se créent ou hasard du défilement."
Nathalie Rao, 1995

Sabdam
Les instruments sont là, sur la platine. La musique est en boîte. Des gobelets vides emportés et mixés par le vent et la musique. Cela pourrait être un autoportrait lors d’un moment de perception aiguë du monde. Le corps s’engage afin de filmer la vitesse, l’espace et le son de motos. Il se munit de prothèses, une construction d’appareillage insensé, telle, par exemple, une perche de caméra imaginée afin de saisir sans trucage le vol en boucle des mouettes. La vidéo peut également s’engouffrer dans la foule des gares lorsque retentissent les signaux sonores indiquant la fermeture imminente des portes. Une tension se crée, souffle, énergie. Sabdam "boxe" avec les images, leur flux, leurs sons en soignant le rythme du montage qu’elle ne cesse de tenir sur le fil de la mémoire jusqu’à ce qu’advienne l’amnésie. Sabdam se réapproprie la musique selon un cheminement propre au processus de création musicale. Le nom d’un groupe fictif apparaît comme il se doit sur la batterie et les amplis : UNDO/ADD (enlever/ajouter). Ce terme correspond à un effet que les musiciens utilisent sur la table de mixage. L’artiste a choisi le vocabulaire approprié à la façon dont les compositeurs de musique électronique jonglent avec le rock, en réutilisant, par exemple, des sons punk de la fin des années soixante-dix. En énonçant de façon emblématique ses repères, Sabdam évoque un moment fort, celui où l’artiste utilise l’énergie de la transe. Alors s’ouvre un monde de rythmes, de sons et d’images qui transpirent, jusqu’à transmettre cette dépense violente.
De quel temps s’agit-il ici ? Les divers éléments nous immergent dans un monde où la platine disque est une scène recyclée mais également une sorte de boîte à musique où tournent inexorablement des instruments. Les câbles sortent du mur (alone, 2000), suspendant une guitare ainsi qu’un ampli. Le bras de la platine disque sort du mur et sert de support à la boîte à images( présonorisation back head/ tête de lecture, 2002). Les sons sortent, les images affluent. Une projection vidéo, une vidéo, street corner (2002) couvre une paroi jusqu’à ouvrir l’espace d’exposition sur un autre espace, un espace extérieur qui nous vient en pleine face, les images et les sons partent en vrille et en trilles, battement toujours recommencé, tension qui monte jusqu’à se cogner la tête contre les murs.

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Vue de l’exposition « Nos troubles », Crac Languedoc-Roussillon, Sète, 2002-2003. Pierre Ardouvin, « Le bal des nazes », 2002, bande son réalisée avec le concours de l’École Nationale des Beaux-Arts de Lyon. Remerciement Jérôme Besson. Production Crac Languedoc-Roussillon. Photo : François Lagarde.