Sylvain Rousseau, Et in arcadia ego, 2000.
Comme Witold décèle des signes manifestes et des figures mystérieuses dans le plafond de sa chambre, ou comme Borgès sait parfaitement décoder la toison du guépard, les fissures du panneau de Sylvain Rousseau laissent impérativement apparaître ce crâne. Il n’y a pas ici d’autres lectures possibles, aucun autre signe à déceler : le mur lézardé, le dessin d’un crâne. Bien sûr il y a là l’évocation première d’une vanité si chère au XVIème siècle. D’ailleurs Sylvain Rousseau ne cache pas sa fascination pour cette phrase de Léonard de Vinci : “Si tu regardes des murs fissurés, souillés de beaucoup de tâches, ou faits de pierres multicolores, avec l’idée d’imaginer quelques pierres, tu y trouveras l’analogie de paysages ou décors de montagnes, rivières, rochers, arbres, plaines, larges vallées et collines de toutes sortes. Tu pourras y voir aussi des batailles et des figures aux gestes vifs et d’étranges visages et costumes et une infinité de choses que tu pourras ramener à une forme nette et complète. Et, il en va de ces murs et couleurs comme du son des cloches. Dans leurs battements, tu trouveras tous les sons et les mots que tu voudras imaginer.” Mais il n’y a pas seulement ici cette réminiscence d’Histoire. Il y a dans cette lézarde une agression, une brutalité - trivialement, le panneau est attaqué à la défonceuse. Le mur, symbole si lourd, exprime sa douleur contenue, suinte du retour des morts vivants, exhorte à la vengeance d’outre tombe.
Cette lézarde, chauffée à blanc sous les sunlights du white cube, menace-t-elle de destruction finale nos pâles cimaises aveuglées ?
Olivier Babin, One out of eight, 2004, wall painting.
Un espace en zone blanche, arbitrairement retranché à l’espace ordinaire d’exposition pour raisons de sécurité. Son extraterritorialité et son inaccessibilité sont formalisées par une simple cordelette blanche. Au mur, une notation minimale et complexe à la fois : deux chiffres superposés, un grand huit noir laissant apparaître en son cœur et sur toute sa hauteur un un en défonce blanche. Révélation et croisement de plans valant croisement de données. Car il s’agit bien de cela : établir et transmettre une position autant qu’un positionnement. Le wall-painting est titré One out of eight (à la fois “un à part de huit” et “un sur huit”) traduction littérale de sa forme visuelle. À l’instar d’un calligramme autodescriptif, l’énoncé peut sembler clos sur lui-même. En effet, aucun sens caché, aucune profondeur, rien qu’une abrupte évidence. La zone de vérité ainsi délimitée et mise en lumière, incontestablement absurde et sans utilité a même tendance à plonger dans les ténèbres tout ce qui l’entoure. La pièce se situe cependant par delà toute tautologie, car précisément elle formalise le rapport d’un plan à un autre, celui de l’artiste au groupe et à l’espace commun dans le contexte si particulier d’une exposition collective. One out of eight n’exprime pas une soustraction mais un quotient, c’est-à-dire une valeur relative. Affirmation d’une singularité autant que réflexion sur son inscription dans le champ politique.
Thomas Barbey, Voyage fantastique dans ce monde flottant, 2004, vidéo, 2 minutes 20, en boucle.
Dessin animé, monté en cut. Voyage d’un ballon de football dans les airs. Rebonds au hasard au dessus des nuages, la pluie apparaît, la nuit, quelques rayons de soleil, le bleu du ciel. Une dérive à droite, à gauche, plus haut, et nous tombons sans jamais toucher le sol. Aucune histoire. Juste flotter, rebondir, tourner sur nous même.
Graffitis, 2003, 25 pochoirs pour 25 peintures murales, papier acétate 250G, peinture aérosol acrylique. Téléchargement de typographies type graffiti, transformation en pochoir corps 48, et reproduction murale à la peinture aérosol colorée.
Chourouk Hriech, Co-Bushis Acte I & II, 2004, dessin, installation.
Oniriques, passionnés, drôles ou cruels, simples, voire puérils, quelques fois graves, les dessins compilés dans Le pink book de Chourouk Hriech (ed. Villa Saint-Clair, Sète, 2003) offrent un panorama relativement étendu de la fertilité graphique autant que de l’imaginaire de l’artiste.Ici, objectivement, sur le papier au mur qui pourrait être un kakejiku - ces rouleaux japonais tendus entre deux bambous - des archanges samouraï posés sur leur nuage noir, sous leurs ombrelles, descendent vers le macadam. Sur le sol noir, sous des ombrelles blanches une femme attend. Mais en aucun cas des femmes ont pu, ou peuvent encore accéder au statut de guerrier bushi. En aucun cas, non plus des femmes voilées par une ombrelle n’ont pu et, ne peuvent toujours pas, être armée d’un sabre mortel. A observer les dessins et l’installation de Chourouk Hriech, on pourrait évoquer cette légende japonaise quelque peu libératrice. Il était une fois, une très belle princesse nommée Kaguya. Kaguya-Himé, princesse de la Lune, désirée par les puissants de la terre et qui refusait sans cesse les avances et les offrandes d’une ribambelle de prétendants tous plus beaux les uns que les autres, tous plus riches les uns que les autres. Jamais elle ne succombait aux vanités humaines. Un jour, elle affirma que les chevaliers de la Lune allait bientôt venir l’emmener. Le royaume s’organisa, mis en place une immense armée pour empêcher ce rapt d’infidèles. Rien n’y fît. Les archanges armés descendirent sur leur nuage noir, et avec une légère facilité portèrent Kaguya-Himé vers son véritable destin.Parlant de ses tableaux - quand elle évoque ses dessins - Chourouk Hriech affirme : c’est ainsi une manière de donner la possibilité à la petite bergère et au ramoneur du Roi et l’Oiseau de sortir de leur toile et de parcourir le monde. L’arme est l’ombrelle Le sabre fait peur aux ânes Ô ! nuages noirs.
Lucas Mancione, Aléatoire oblige, 2002-2004, divers élément et son.
Comme on prélève, on cueille, on arrange, on coupe, on sample, on colle, on monte, Aléatoire oblige, procède du hasard combiné au désir irrépressible de finalement faire. Lucas Mancione compile de nombreux dessins, images et éléments graphiques, tracés ici sur des boîtiers vides de MiniDisc, et réorganise au mur de façon aléatoire un collage contaminé par son propre désir. Il y a forcément, dans les choix de Lucas Mancione, un tri originel, un penchant pour les traits affirmés et les couleurs franches, par exemple, mais aussi pour les personnages symboliques ou emblématiques sortis d’imaginaires urbains.
Il procède aussi de la même façon - il parle de “banque de données” - pour produire sa musique, ses harmonies dissonantes. Dessins, images et musiques sont, intimement liés. Les musiques enregistrées et indexées dans la banque s’enrichissent sans cesse de nouveaux sons, de nouvelles mélodies. Ces nouveaux éléments capturés sont phagocytés par le programme et transforment presque imperceptiblement l’ensemble de la banque de données. L’œuvre de Lucas Mancione, qu’elle soit graphique ou sonore procède d’une certaine façon autant du concept de rhizomes cher à Deleuze que d’une application plastique de la théorie des catastrophes de René Thom. Un ensemble sans cesse mutationnel…
Il propose ici un triptyque d’écrans illuminés, où prolifèrent boîtiers de MiniDisc, et dessins noirs réalisés à l’aide de bande magnétique Revox.
Une musique resculptée chaque jour de 16h à 19h durant l’exposition, enveloppe l’installation.
Nicolas Milhé, Paradis, l.-print sur alu, 120x120 cm, 2004
Le monde est immuable. Le cartographe y projette des données pour qu’elles soient immédiatement accessibles et facilement mémorisables. Dans sa série de cartes, Nicolas Milhé viole cet accord tacite, ce gentleman’s agreement. Il a commencé par inverser le Nord et le Sud ainsi que l’Est et l’Ouest, bouleversant d’abord la côte Atlantique puis le métro parisien. Chercher Neuilly au nord-est, Belleville et Barbès à l’ouest perturbe, incite à s’interroger sur la neutralité imaginaire des orientations géographiques. Une succession de Quartiers Est, pauvres, à New York, à Londres, à Paris, à Rio, passent à l’esprit.
Une puissance enfouie de non-dit, celle qui faisait chercher dans tout Paris aux situationnistes le "Passage du Nord-Ouest" . En créant Paradis, une carte présentant un archipel de pays paradis fiscaux, Nicolas Milhé continue son déploiement d’inconscient géographique. Les îles comme des endroits secrets, difficilement accessibles, repliés sur eux-mêmes et pourtant virtuellement en communication avec le monde entier, ouverts. Des notions, des impressions apprises à l’école fournissent un point d’entrée à la complexité occulte du financier.
"…/…Pour cette exposition, Nicolas Milhé présente aussi une carte de la Suisse modifiée. Il pousse à bout la logique de neutralité de ce pays, son impénétrabilité diplomatique, juridique, financière et finalement sociale. Les pays adjacents (France, Allemagne, Autriche, Italie, Lichtenstein) voient leur frontière s’étendre, dévorer la Suisse. Une revanche brutale des États Nations, une carte aux curieuses allures mérovingiennes, une prise de pouvoir évoquant Roland sonnant du cor à Genève. "
Extrait du texte de Corentin Hamel
Flavie Pinatel, sans titre, 2004, 6 vidéos en boucle, 25’
Plans fixes : portraits plain pied. Il est nu, dans un boudoir bourgeois, mangeant des knakies froides. L’être assis dans un fauteuil régence, entre un hibiscus et un guéridon, guilleret, croque ses saucisses. Une dame mince, en body rouge tricoté, debout dans une cuisine lisse, high-tech déguste, face caméra, un pain aux raisins. Une jeune fille assise en chaussettes bleues, au fond d’une grande salle de bain carrelée, brillante, caresse ses jambes entre un vase et un pull verts. Des jumeaux face à face, assis devant une cheminée, mangent en caleçon à rayures roses, sur une petite table, des quenelles. Un très grand dadet en slip et haut de pyjama bordeaux, avec un homme petit dans le bas de pyjama bordeaux de son grand ami et leur chien jaune, dans un salon Louis-Philippe dévorent un hamburger. Une femme lascive en culotte bleue se brosse, rêveuse, les dents devant un probable miroir, dans une salle de bain tout en marbre. L’être, la dame mince, la jeune fille, les jumeaux, les amis et la femme lascive sont tous des gens pour lesquels surgit, assez inexplicablement, une tendresse spontanée. Des humains, dignes, beaux, directs et à la fois étranges, singuliers, seuls. Ils sont filmés dans une intimité fictionnelle, dans un décor d’une redoutable précision, dans un cadre composé comme une peinture néo-réaliste aux couleurs savantes. Ni froid, ni outré, juste là, planté. Or, très vite, une violence sourde menace sans qu’on puisse correctement l’identifier. Essayons… Le décor, qu’il soit chaud ou glacé, agit ici comme une machine infernale. Le corps humain en intrus charnel y sera forcément broyé. Pourtant, aucune inquiétude, les sujets affichent leur morgue souriante. Ils sont vie palpitante, et parfaitement conscients du scandale de leur existence. C’est peut-être par cette catastrophe-là que nous pourrions être poussés à rire.
Magali Sanheira, Déplacer le vide, panneau de bois mobile.
L’objet reprend le fonctionnement en circuit fermé d’un taquin, ce puzzle constitué ici de 8 carrés coulissants dans un cadre de 9 cases, selon un principe de glissement des plaques qui nécessite un vide de déplacement. Là, l’échelle est agrandie. L’objet devient lourd et massif et difficilement utilisable. Sans motif, presque monochrome, respectant scrupuleusement la matière du médium, l’œuvre de Magali Sanheira ignore le caractère ludique de l’objet pour ne mettre en évidence que son pur principe de fonctionnement. Entre tableau, objet et sculpture, Déplacer le vide, procède d’emblée d’un formalisme minimal, et pourtant, il y a de l’ambigüité nostalgique dans ce puzzle si répandu dans les années 70, ce jeu solitaire pour oublier l’ennui… comme une boucle infinie sans départ ni fin, ne déplaçant plus que le vide.
Magali Sanheira, Sujet-verbe-complément, 6 photographies
Chaque photographie contient un mot. Les six images se suivent selon une construction grammaticale basique et une sonorité graphique. Ponctuées par une virgule et un point, ces images sont des fragments de parcours à travers différentes métropoles. La ville devient un espace de récit et cette phrase constituée, la proposition d’une fiction subjective
…/… Okone-rêve-de-devenir-mécanicien-à-Porto-tandis-que-Bobb-ne-sait-plus-fuir-sa-prison-de-luxe. L’amie-de-Bobb-s’inquiète-de-cette-neurasthénie-clinique, tandis-que-l’amie d’Okone-jubile-à-l’idée-de-retourner-au-pays… par exemple…
Magali Sanheira, Street Game, 2004, divers éléments, dispositif. Avec Gaël Angelis.
Sur une carte de Paris, un carré intra-muros a été découpé et placé sous le goban, plateau de jeu de Go, et mis en jeu. Le choix du jeu de Go s’est imposé de par sa nature car il s’agit de garder ses “libertés” pour se constituer un territoire, il n’y a pas de hiérarchie dans les pions et la perte se fait par abandon… La carte n’étant pas le territoire, le déplacement est nécessaire. Les positions de chaque pion ont été reportées sur le territoire même à la craie blanche et au charbon, puis photographiées. Chaque étape du parcours est tracée sur une carte. A la fois trace de l’action et rapport psychogéographique, les photos prises sur ce territoire constituent une nouvelle carte. Il ne s’agit pas d’une dérive mais d’une aventure.