Yvonne Rainer
Naissance : 1934
à San Francisco, USA.
Elle vit et travaille à New-York, USA.
Née en 1934 à San Francisco d’un père européen [1], Yvonne Rainer est reconnue internationalement en tant que danseuse et chorégraphe, figure pionnière de la danse postmoderne, mais aussi comme réalisatrice engagée dans un cinéma indépendant, féministe et lesbien. Ses œuvres expérimentales et stimulantes, produites sur une durée de plus de soixante-dix ans, continuent d’influencer une jeune génération d’artistes, de performeur·eus·es, de chorégraphes, de cinéastes.
En 1956, elle s’installe à New York afin d’étudier le théâtre puis commence l’année suivante sa formation en danse. Entre 1959 et 1960, elle étudie successivement auprès de Martha Graham (1894 -1991), Merce Cunningham (1919 -2009), Robert Ellis Dunn (1928 -1996) et participe au summer workshop d’Anna Halprin (1920 -2021) en Californie en compagnie de Simone Forti (1935). Dès 1961, elle commence à présenter ses chorégraphies. Entre 1962 et 1964, elle initie avec Steve Paxton (1939 - 2024) un groupe informel de chorégraphes rapidement nommé Judson Dance Theater dans lequel s’investissent notamment Trisha Brown (1936 - 2017), Lucinda Childs (1940) et David Gordon (1936 - 2022) en se retrouvant tous les lundis soir au Judson Memorial Church, 55 Washington Square. En 1966, Yvonne Rainer signe et performe Trio A - The Mind is a Muscle, Part 1 au Judson Memorial Church, une pièce qui reste incontestablement son œuvre la plus remarquée. Son titre évoque « la vie du danseur – une vie de dévouement, où l’esprit exige le même type de travail et de stimulation quotidienne que les muscles ». [2]
La vision novatrice et disruptive d’Yvonne Rainer se détache d’une approche classique et/ou conventionnelle de la danse en incorporant l’interrelation aux objets, l’analyse des dispositifs formels et structurels : répétition, interruption, simultanéité ou encore juxtaposition d’éléments sans rapport entre eux, empruntant pour se faire le concept de radical juxtaposition à Susan Sontag. [3]
Les critiques associent son œuvre des années 1960 au minimalisme nord-américain, à Fluxus, à l’apparition de la performance ou encore au happening. Yvonne Rainer a formulé son approche de la danse dans un texte devenu célèbre intitulé No Manifesto (1965) motivé par une simple volonté de faire table rase qui fut sans doute trop largement commenté. De fait, elle a souhaité l’enterrer à plusieurs reprises et elle est même revenue sur son contenu à travers Manifesto Reconsidered (2008). Toutefois, Yvonne Rainer ne conçoit pas sa chorégraphie comme purement anti-métaphorique, et a même déclaré dans un entretien : « En tant que danseuse, je savais que c’était impossible : le corps parle, quelle que soit la manière dont on essaie de le faire taire » [4].
À partir du milieu des années 1960, Yvonne Rainer commence à travailler dans le cinéma en réalisant tout d’abord cinq courts-métrages [i], formes d’objectifications maladroites de corps et/ou parties de corps. Entre 1962 et 1975, elle présente ses chorégraphies à travers les États-Unis et l’Europe. [5].
De 1970 à 1974, ses performances et ses films se chevauchent. En 1975, elle passe entièrement à la réalisation de longs-métrages. Ses films (sept au total, entre 1971 et 1996) abordent un large éventail de sujets tels que la sexualité, les conflits domestiques, l’impérialisme nord-américain, les privilèges sociaux, l’inégalité entre les sexes, la maladie, le vieillissement, le quotidien, la ménopause, l’hormonothérapie, la gentrification. Ils contiennent pour cela un large éventail d’éléments autobiographiques utilisés à des fins politiques et artistiques. Ses trois premiers longs-métrages (Lives of Performers – 1972, Film About a Woman Who – 1974, Kristina Talking Pictures – 1976) sont des œuvres non narratives abordant la danse et la vie professionnelle, sociale et affective des performeur·euse·s. Ils combinent réalité et fiction, éléments sonores et visuels. Yvonne Rainer n’oppose plus l’affect à l’expérience ; elle filme l’émotion comme un fait à l’origine d’une émancipation à venir.
Son quatrième film, Journeys from Berlin/1971 (1979), s’inspire de sa résidence à Berlin-Ouest entre 1976 et 1977 ainsi que d’une certaine fascination pour Ulrike Meinhof (1934 - 1976) — cheffe de file du groupe d’extrême-gauche FAR-Fraction armée rouge. Il offre une réflexion riche et audacieuse sur le pouvoir d’État, la répression, la violence et la révolution. Son cinquième film, The Man Who Envied Women (1985) propose, selon ses propres termes, de « jeter le gant à la théorie du film féministe psychanalytique » [6] par un essai filmique aussi drôle que provocateur. Hors de portée du regard masculin, son personnage féminin interprété par la danseuse et chorégraphe Trisha Brown existe uniquement à travers une voix-off. Ce personnage est à la fois omniprésent et visible nulle part. Par ce stratagème, Yvonne Rainer entend conserver, voire rendre une dignité à ses personnages féminins, ses héroïnes non héroïques. Son film suivant, Privilege (1990), poursuit son exploration des émotions en jeu dans les relations humaines, sociales et sexuelles. À partir de ce moment-là, l’image en mouvement devient une arme au sein d’un chantier cinématographique investi dans une lutte contre la sexuation du monde, la déconstruction des marques de domination et d’oppression des minorités telles que les femmes, mais aussi les gays, les lesbiennes, les personnes de couleur. Son dernier long-métrage, MURDER and murder, repose sur la dimension universelle d’une relation égalitaire dans un couple lesbien post-ménopause. [7]
À l’aube de l’an 2000, alors qu’elle décide de ne plus réaliser de nouveaux films tant elle semble désintéressée par l’économie du cinéma, elle reçoit un appel de Mikhaïl Baryshnikov (1948) qui lui commande une nouvelle pièce pour sa compagnie White Oak Dance Project installée à New York. Cet événement signe son grand retour à la danse.
Intitulé After Many a Summer Dies the Swan (2000), cette œuvre marque un renouveau de sa production chorégraphique par lequel elle s’attache à défaire, voire à démolir, une pratique établie sur plusieurs décennies. Cette volonté d’examiner et de remettre en jeu sa propre contribution à l’histoire de l’art et de la danse incarne la vitalité et la vivacité d’un travail qui résonne particulièrement avec les crises de ce siècle qui commence.
Tout au long de sa carrière, Yvonne Rainer a publié de nombreux articles revenant sur son travail et son engagement politique au long cours (Yvonne Rainer : Work 1961-73 – 1974, The Films of Yvonne Rainer – 1989, A Woman Who… : Essays, Interviews, Scripts – 1999, Feelings are a Fact, A Life – 2006, Revisions : Essays by Apollo Musagète, Yvonne Rainer, and Others – 2020). Elle a reçu de nombreux prix et bourses (Guggenheim Fellowships (1969, 1988), Rockefeller Fellowships (1988, 1990, 1996), MacArthur Fellowship (1990-1995), Wexner Prize (1995). En 2006, le Getty Research Institute de Los Angeles acquiert ses archives et l’année suivante, Performa NYC [8] initie une représentation de son travail chorégraphique à travers la commission de nouvelles œuvres (RoS Indexical – 2007, The Concept of Dust – 2015, Parts of Some Sextets – 1965-2019, Hellzapoppin’ : What about the bees ? – 2021) et un projet d’histoire orale revenant sur son retour à la danse au début des années 2000 jusqu’à aujourd’hui. [9]
Sa contribution à l’histoire de l’art et de la danse est largement reconnue et régulièrement présentée aux États-Unis mais les occasions de rencontrer ou de voir ce travail sont plus rares en Europe et particulièrement en France. En effet, sa dernière et seule participation au Festival d’Automne date de sa création en 1972. [10]
Cependant, d’autres invitations ont eu lieu par la suite, notamment la programmation de films « Traveling Cultures » sous la direction de Marie-Claude Beaud à l’American Center de Paris en juin 1995, du festival Montpellier Danse en 1996, d’une soirée spéciale organisée par Christophe Wavelet au Musée des Beaux-Arts de Nantes en 2006, puis de la performance The Concept of Dust, or How do you look when there’s nothing le to move ? à l’Auditorium du Louvre, Paris, et au Mucem, Marseille, en 2015. Il convient de noter ici d’autres projets importants parmi lesquels The Yvonne Rainer Project, incluant l’exposition collective Lives of Performers organisée par Julie Pellegrin, alors directrice du Centre d’art de la Ferme du Buisson, et le colloque « Nexus Rainer » organisé par Chantal Pontbriand au Palais de Tokyo et au Jeu de Paume en 2011. Sans oublier l’exposition Yvonne Rainer : Dance Works proposée par Catherine Wood en 2014 à Raven Row, Londres, ainsi que l’ouvrage The Mind is a Muscle publié en 2007. Notons aussi l’exposition A Different Way to Move, où minimalisme et danse postmoderne se rejoignent, organisée par Marcella Lista en 2017 au Carré d’Art de
Nîmes, et enfin le projet d’histoire orale coordonné par Charles Aubin pour Performa qui revient sur le renouveau de la carrière chorégraphique d’Yvonne Rainer après les années 2000 et complète ainsi son archive conservée au Getty Research Institute.
Biographie établie par Arlène Berceliot Courtin, extraite de l’ouvrage Yvonne Rainer : A Reader, JRP|Editions, Collection « Documents », à paraître en 2026.

