The Diamond Sea

Exposition

Du 3 juillet au 3 octobre 2010

Commissariat : Noëlle Tissier

Avec The Diamond Sea, Claude Lévêque réalise in situ une œuvre inédite, avec sa démesure et celle du CRAC, anciens entrepôts frigorifiques de 1200 m2. Avec un dispositif à la fois visuel et sonore composé de 9 œuvres, The Diamond Sea de Claude Lévêque s’inscrit dans la continuité de sa proposition Le Grand Soir présentée en 2009 à la dernière Biennale de Venise, tout en s’en différenciant.

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Et comme bon nombre d’œuvres de cet artiste de renommée internationale, les décrire n’a que peu de sens. C’est un voyage que nous propose Claude Lévêque. Une œuvre totale, qui nous prend, nous saisit, nous dérange, nous séduit. Un parcours dans lequel on avance, pas à pas. Une œuvre dans laquelle on se perd. Avec The Diamond Sea, l’artiste nous plonge à la fois dans l’univers de la mer, du miroitement, en parfaite syntonie comme à son habitude avec l’architecture des lieux mais aussi leur inscription dans un paysage géographique, à Sète. Ici, il nous propose un voyage imaginaire et poétique, un conte de fée, teinté des références littéraires, musicales, esthétiques, légendaires qui sont les siennes. Une traversée labyrinthique dans un monde onirique, un monde de reflets, de miroitements et d’illusions, de danger aussi, où les chimères semblent être des réponses possibles à la réalité inextricable du monde dans lequel nous vivons.

Tout d’abord, souvenons-nous de l’eau de la mer et des canaux, qui jours et nuits, agitée ou calme, diffracte la lumière dans une infinité de reflets. Ces étendues irrégulières, houleuses sont telles les faces d’un diamant. Une eau trouble, pourtant cristalline et chatoyante. Un miroir instable aux éclats lumineux. Point de départ, le titre de l’exposition, évoque la mer comme surface scintillante, un infini en perpétuel mouvement. Débute ici un monde chimérique, "une représentation de la mer avec ce qu’elle peut avoir d’imaginaire, de dramatique, d’onirique". Le développement de chaque salle est comme l’étape d’une aventure dans l’univers des mythes et légendes marines ; le chapitre d’un récit habillé de rêves. Claude Lévêque fabrique des installations, des dispositifs, liés aux caractéristiques essentielles de l’espace : son histoire, sa fonction, sa matérialité. Il est "attentif à la relation des lieux avec l’extérieur, à la façon dont les gens se déplacent dans l’espace", pour ne pas se situer dans une attitude contemplative : ses "installations ne sont pas faites pour être regardées, mais vécues", le visiteur devenant l’acteur de la scène proposée.

Il souhaite agir sur nos perceptions pour voir comment nos pensées, nos corps réagissent face à des pièges à sensations. Il crée des mises en situation sensorielle, impliquant nos affects et nos sens, s’amuse "à provoquer des réactions qui, inattendues, nous marquent. Ces actions permettent d’exciter l’imaginaire, de voir le monde autrement". Par l’impact de ces déstabilisations, il réintroduit une évidente puissance de la magie et du sensible, qu’il combine à la répulsion : "Ce que j’aime, c’est jouer avec des éléments de spectacle qui attirent et au bout desquels il y aurait quelque chose de l’ordre de la menace". Le visiteur parcourt un espace aux effets spéciaux standards et bricolés, avec peu d’éléments et un vocabulaire formel très économe, saturés de lumière qui nous immerge, nous irradie. Il travaille sur le motif et la séduction de la féerie, pour "mixer des situations hybrides entre l’art minimal et l’esthétique de la fête foraine". Ces éléments féeriques sont directement préhensibles, saisissables – licorne, bateau, carabine… -, des formes primaires qui nous permettent d’aller à l’essence de ces images. C’est à partir de ces lieux communs que Claude Lévêque va renverser notre appréhension première et métamorphoser des situations / images identifiables. En utilisant des archétypes il joue avec l’ambiguïté de la facilité de reconnaissance, travaille notre mémoire collective pour venir éveiller chez nous le primaire, le pulsionnel ou la révolte et ces "passions que l’on croyait disparues".

À propos des œuvres exposées

Filets de pêche : Dans la première salle, des filets de pêche sont suspendus depuis la hauteur de ce plafond, soulignant la démesure de l’espace : une infinité, un vide où l’on se perd, vertigineux. Tel un labyrinthe, le visiteur parcourt l’espace, s’imagine perdu : "c’est une forêt, un passage, un abysse". Être pris dans des filets est une métaphore de la capture, du piège : ils retiennent, et parfois, par chance, laissent s’échapper. Au centre de la salle, au dessus de nos têtes, la lumière est renvoyée par une sphère constituée d’une multitude de bris de miroirs qui vient consteller les murs, les filets, les visiteurs de taches blanches, créant du mouvement par fragmentation de la lumière. Une boule à facettes comme une lune brisée par les flots, puis recollée sur un globe. Au mur, lunaire, elle devient ronds noirs aux halos blancs : une éclipse. Ces milliers de petits bris de miroirs, évoquent l’instabilité des formes du monde, de l’être et sa perte d’unité. Un miroir crée de la métamorphose, un temps immédiat, une déformation de la perception. Reflétant des silhouettes en morceaux, coupées et éclatées, il est parfois associé à la mort, à la malchance. On s’y perd, on y plonge. "Le miroir est un abîme. C’est un objet qui attire et propose une révélation, une illumination en même temps qu’une autodestruction par rapport à cet abîme".

Couronne d’épines : Éloigné de nous, inaccessible, un cerclage de métal en mouvement, transpercé de flèches, est suspendu, tel la "vision d’une planète ou d’un soleil énergisant – une idée du cosmos". C’est une menace, une planète rayonnante et tournoyante, comme maléfique. Des stroboscopes nous éblouissent, saccadent cette couronne miroitante, et les aiguilles qui y sont fichées, comme dans une perte d’équilibre, un vertige, tandis que son ombre monstrueuse frôle les murs. En utilisant des éléments liés aux reflets, aux dédoublement, Claude Lévêque utilise "ce qui va de l’aveuglement au scintillement : le jeu de l’éblouissement est un jeu de l’aveuglement". La lumière permet de souligner l’obscurité, tandis que l’obscurité souligne l’inatteignable - invisible la lumière rend visible. Elle permet de mettre en place une fiction, en produisant des transformations, une révélation, du désir.

Bateau : Dans le noir, un bateau géant, primaire, vole vers un monde désiré. Fragile, il est tel un périlleux transport. Serein, il est à la fois d’un blanc et d’un bleu soyeux et éblouissant. Fluorescent, il incarne la transcendance et l’immatériel. Un bateau – métaphore du voyage, de la transformation - en origami "est un objet volatile. C’est un pliage, une représentation basique. Une forme qui se prête au rêve, à l’irréalité. Comme pour être à la lisière d’évocations. Un bateau est un objet de transport, un réceptacle, un tombeau".

On entend un fragment linéaire et ondulant de l’adagio de la Symphonie n°5} de Gustav Mahler – utilisé par Visconti dans Mort à Venise. Orageuse et plaintive, cette symphonie serait une lettre d’amour musicale adressée à sa femme, emprunte d’un caractère funèbre dû au grave problème de santé de Mahler. "Cet adagio", note Alain Badiou, "est aussi bien l’achèvement distendu, exaspéré, d’une totale mélancolie, de la symphonie tonale et de son appareillage de timbres (ici, les cordes seules)".

Licorne, Carabine : Une licorne et une carabine en inox polymiroir, tournent lentement, suspendues en l’air. Ces images sont comme de merveilleux jouets. Animal féerique versus cheval de compétition, carabine sans balles versus stratégies de guerre. Un éclairage direct permet une ombre fixe, noire, qui est poursuivie par son négatif, une ombre éclairante, celle du miroitement de ces images. "Ce sont des surfaces miroitantes et des éléments tranchants, d’aspect menaçant, qui évoquent la lame d’un rasoir. C’est de la séduction et de la répulsion, on est entre les deux – sur le fil du rasoir".

Armoires : Dans une semi obscurité, au centre de l’espace, deux terrifiantes armoires tombantes et vacillantes, portes ouvertes, basculées vers le sol, tenues par leurs ouvertures,sont entourées par le bruit de pas lourds et écrasants d’une descente d’escalier. Un espace contenant du vivant qui tente de fuir, de s’en sortir, pourtant sans échappatoire. Elles figurent le chancellement, la dérive, le naufrage et la relativité de toute forme – de toute connaissance et morale. Plus loin, l’escalier desservant l’étage est éclairé par l’intermittence de flashs, le rendant irréel, aux ombres épileptiques, tout en accentuant sa matière brute.

Oceano Nox : Dans cette salle noire, à pas feutré, nous écoutons un enfant lire un extrait du poème Oceano Nox de Victor Hugo. Ce poème parle de la disparition des marins "dans une mer sans fond, par une nuit sans lune, sous l’aveugle océan à jamais enfoui" et, que nul ne connaît leur sort dans cet "abîme plongée". Évoquant "les ténèbres et le naufrage. Il est à la fois léger et sombre". "Le corps se perd dans l’eau, le nom dans la mémoire. Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire, Sur le sombre océan jette le sombre oubli. Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue".

Seppuku : Seppuku est une œuvre menaçante. La violence se lie ici à une infinie beauté : au Japon, ce rituel suicidaire se doit d’être aussi pur qu’une fleur de cerisier. Notre société joue avec la paranoïa, la terreur et la peur et vis-à-vis de cela, pour Werner Schroeter, dans le suicide "regarder la mort en face est un sentiment anarchiste dangereux contre la société établie". Suspendue à plat, cette lame miroitante, nous reflète déformé dans la nudité cruelle de son métal, alors qu’une onde sonore résonne.

Porte : Essayer de sortir par les deux battants de cette porte entrebâillée, telle une meurtrière, pour s’échapper, chuter sur le port ou s’y élever et disparaître, car "là où croit le danger, croit aussi ce qui sauve" écrivait Höderlin. Cette ouverture est la fin d’un parcours, elle nous protège du dehors, le rendant inaccessible. C’est une issue vers le paysage maritime, vers la réalité de l’extérieur sans tout montrer, puisque ce trait de paysage suffit. Le ciel, ici, pour s’y échapper, quitter la pénombre et la lumière artificielle,pour disparaître, au soleil, en fumée. The Diamond Sea est un conte de fée se terminant par un suicide, par la "destruction et la disparition".

Timothée Chaillou

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Vue de l’exposition « The Diamond Sea », Claude Lévêque, Crac Occitanie à Sète, 2010. « Carabine », 2010, carabine, inox polymiroir, stroboscope, moteur. Photo : Marc Domage.

“How does your mirror grow you better watch yourself when you jump into it
’cause the mirror’s gonna steal your soul”

Sonic Youth, "The Diamond Sea"

Artiste exposé

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Vue de l’exposition « The Diamond Sea », Claude Lévêque, Crac Occitanie à Sète, 2010. « Seppuku », 2010, inox polymiroir, système son, filtres rouges pour fluos. Photo : Marc Domage.

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Vue de l’exposition « The Diamond Sea », Claude Lévêque, Crac Occitanie à Sète, 2010. « Filets de pêche », 2010, filets de pêche usagés et odorants, 4 projecteurs, 1 boule disco, moteurs. Photo : Marc Domage.

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Vue de l’exposition « The Diamond Sea », Claude Lévêque, Crac Occitanie à Sète, 2010. « Filets de pêche », 2010, filets de pêche usagés et odorants, 4 projecteurs, 1 boule disco, moteurs. Photo : Marc Domage.

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Vue de l’exposition « The Diamond Sea », Claude Lévêque, Crac Occitanie à Sète, 2010. « Couronne d’épines », 2010, couronne d’épines, inox polymiroir de 5mm de diamètre transpercé d’aiguille en inox polymiroir, moteur, projecteurs, plexiglass. Photo : Marc Domage.

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Vue de l’exposition « The Diamond Sea », Claude Lévêque, Crac Occitanie à Sète, 2010. « Armoires », 2010, armoires, système son. Photo : Marc Domage.

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Vue de l’exposition « The Diamond Sea », Claude Lévêque, Crac Occitanie à Sète, 2010. « Licorne », 2010, licorne en inox polymiroir, stroboscope, moteur. Photo : Marc Domage.

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Vue de l’exposition « The Diamond Sea », Claude Lévêque, Crac Occitanie à Sète, 2010. « Bateau », 2010, origami de bateau en contreplaqué, ventilateurs, black guns de lumière noire, machine à brouillard, système son. Photo : Marc Domage.