Vertiges

Le Crac Occitanie présente le travail d’Alice Brygo (née en 1996 à Montpellier), dans le cadre du prix Occitanie Médicis, dont elle a été lauréate en 2023. L’exposition Vertiges est constituée d’une nouvelle installation vidéo et sonore
produite pour l’occasion, intitulée Montagne profane, et d’un film réalisé en 2022 : Le Mal des ardents.

À la croisée du cinéma et de l’installation vidéo, Alice Brygo développe un univers visuel hybride entre cinéma fantastique, science-fiction et documentaire. Il y est souvent question des inquiétudes qui traversent le monde contemporain et plus particulièrement la génération à laquelle l’artiste appartient. Construire de nouveaux récits, tourner des films comme on écrirait un conte initiatique du 21^ème siècle, ce sont autant de manières pour tenter de vivre dans les ruines produites par le capitalisme, au cœur d’un monde dominé par la productivité, l’accumulation de capital, la volonté de réussite individuelle et l’esprit de compétition.

L’installation vidéo Montagne profane, présentée pour la première fois au Crac Occitanie, condense un certain nombre de thèmes chers à l’artiste. Elle y développe un récit étrange et mélancolique autour de différents sites de montagnes artificielles, de celles qu’on peut voir dans les zoos, les parcs aquatiques ou les salles d’escalades… Dans ces différents décors aux accents dystopiques, plusieurs personnages évoluent dans des quêtes troubles, entre randonnée et survie.

Dans sa note d’intention, Alice Brygo présente ce nouveau projet comme « une mise en dialogue critique et ambivalente de différentes symboliques dont la montagne a fait l’objet, de la quête spirituelle que représente son ascension, au contrôle de la nature que suggère son imitation architecturale ».

L’installation est composée de trois écrans dans lesquels trois personnages évoluent à tâtons dans une atmosphère crépusculaire ou brumeuse, toile de fond pour des sentiments de peur et de désarroi mélangés. Dans cette sorte de conte métaphysique, la nature et l’artifice se mélangent en permanence, et comme dans le travail du rêve, l’étrangeté des situations se prête à une multitude d’interprétations possibles. Dans une des séquences du film, un distributeur de boissons trône au beau milieu d’une vallée. Le même distributeur se trouve dans l’espace d’exposition, comme projeté de la fiction vers le réel, rendant volontairement poreuses les limites entre rêve et réalité, artifice et nature.

Dans la seconde salle d’exposition, Alice Brygo présente un film réalisé en 2022, intitulé Le mal des ardents, dans lequel on retrouve les mêmes accents dystopiques et l’angoisse sourde d’individus aux prises avec des questions en suspens.
Le 15 avril 2019, Notre-Dame brûle à la stupéfaction générale. Des centaines de personnes assistent à cette destruction par le feu et des millions de téléspectateurs découvrent les images sur leurs écrans. L’ampleur médiatique d’un tel événement semble presque faire basculer le réel dans la fiction.
Alice Brygo décide de retourner la caméra vers ceux qui, ce jour-là, regardent Notre-Dame brûler. Le film qu’elle compose est un savant tissage de leurs regards et de leurs voix intérieures.

Le titre de l’œuvre renvoie à une terrible maladie qui a culminé en France au Moyen Âge, provoquant hallucinations, délires, vertiges et tremblements. L’artiste questionne ici en creux la folie qui s’empare parfois des groupes, emportés par les rumeurs ou la perte de repères. Et comme l’écrit la curatrice Alice Riva, à propos du film, lors de sa sélection au Festival international de cinéma Visions du Réel (Nyon, Suisse) en 2023 : « La foule semble elle aussi enflammée, prise dans la tourmente d’un événement aux airs apocalyptiques, entre monde réel et virtuel. ».

Marie Cozette